Interview de Fanny Michaud, Mobilités MEDEFI

Février 2014. Le pays de Redon-Bretagne Sud (35, 44, 56) mène actuellement une expérimentation pour faire découvrir et développer les espaces de coworking. Fanny Michaud, Chargée de mission Mobilités à la MEDEFI, nous explique la démarche et les enjeux à travers cette interview.

Néomobis : Comment est né ce projet de développement d’espaces de travail partagés sur le pays de Redon ?

Fanny Michaud : A la croisée de 2 approches : comment lever le frein à l’emploi que représente la mobilité, et que peut-on apporter de plus aux indépendants et aux porteurs de projet pour les accompagner dans leur développement.

La première réflexion, menée par la MEDEFI depuis 2 ans, consiste non pas à se poser la question très réductrice de l’offre de transport collectif uniquement, mais à prendre les choses sous l’angle de l’accès aux besoins quotidien des citoyens, dont celui au travail, et qui pose la question large d’aménagement du territoire.

En effet, notre société s’est développée sur ce schéma du « métro boulot dodo » ou « auto boulot dodo » qui fait se déplacer des populations entières pour aller au travail et en rentrer (ndlr : le fameux trajet pendulaire). Ce schéma pose problème en agglomération mais aussi en milieu rural pour les citoyens qui n’ont pas toujours les moyens de réaliser ces déplacements.

La MEDEFI soutient également la plateforme « Envie d’Entreprendre », qui coordonne les acteurs de l’entrepreneuriat, c’est à dire toutes les structures qui vont accompagner la création d’activité, du stade amont au développement. Tous les acteurs sont fédérés sur le territoire via cette plateforme.

Il y avait donc cette deuxième question de savoir : que pouvons-nous apporter comme offre aux indépendants, aux porteurs de projet confrontés à l’ ’isolement, à la coupure avec un réseau social et professionnel ?

C’est au travers de ce questionnement qu’il est apparu naturel d’aborder la question des espaces de travail partagés en partenariat avec une Coopérative d’Activité et d’Emplois. Ce type de structure s’appuie sur un collectif d’entrepreneurs. C’est l’éclectisme des métiers représentés qui apporte la richesse. La CAE Inter’Activ, acteur du développement local sur le Pays de Redon, a apporté ses compétences d’animation tout au long de la démarche.

Voilà pour l’approche de départ. Dans les faits, le contexte du territoire rural a dicté le fait qu’on ne peut pas cibler un seul public et nous a obligé à ouvrir au maximum la réflexion.

Au départ, qui étaient les parties prenantes de ce projet ?

A l’origine du projet se trouve une élue d’une commune rurale du Pays de Redon. Elle nous a interpellé avec des questionnements de citoyen: « je suis indépendant, je suis isolé, je souhaite aller travailler dans le centre de mon bourg pour sortir de chez moi et rencontrer d’autres personnes, que me proposez-vous ? ».

Voici la phrase déclenchante, l’étincelle.

Le FEDER, via le programme INTERREG IVB ENO (projet « Rural Alliances ») « , la Région Bretagne via le contrat de Pays, et les collectivités locales ont co-financé cette étude qui a démarré en Juin 2013.

Comment avez-vous pris en compte cette demande ?

En tant qu’acteur du développement territorial, la MEDEFI fait des études de préconisation pour les élus et les collectivités locales. Nous apportons aussi une démarche et une méthode, en l’occurrence, une démarche participative.

Dès le début, nous avons proposé de tester des matinées de coworking. En nous appuyant dans un premier temps sur nos  propres réseaux, ceux des acteurs de la mobilité, de l’entrepreneuriat, et des développeurs économiques des communautés de communes,nos cibles se sont élargis, le réseau des usagers potentiels s’est élargi, notamment aux entreprises.

Dans les faits, nous avons touché essentiellement des demandeurs d’emploi, des indépendants et des créateurs d’entreprise.

Par contre, le public des télétravailleurs et des touristes n’a pas été suffisamment touché selon nous, mais c’est en train de venir.

Faute de ne pas avoir pu les identifier et communiquer auprès d’eux ?

Oui car c’est compliqué, il aurait fallu pouvoir prospecter également les entreprises hors du territoire, ce qui demande des moyens qui ne sont pas à notre disposition.

Aujourd’hui notre méthode d’essaimage, à travers les séminaires, les différents instances et les témoignages commence à faire écho et certaines entreprises de l’extérieur sont interpellées, en se disant : certains de nos employés habitent Redon et font 50-60 Kms pour se rendre au travail, comment améliorer cette situation ?

Vous avez donc testé directement le coworking sur des espaces qui ont été alloués de manière éphémère ?

Oui, nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêts, et des responsables de lieux ont répondu favorablement: mairie, salle de mariage, médiathèque, espace jeune, maison de l’emploi.

Nous aurions aussi souhaité creuser la piste des gîtes ruraux et chambres d’hôtes, sites qui ne sont pas optimisés toute l’année et notamment en semaine.  Cette piste est d’ailleurs plébiscitée par les professionnels du tourisme, mais cela n’a pas pu être fait faute de temps.

L’objectif de ces matinées était de rendre visible ces nouvelles formes de travail pour les collectivités, les entreprises, et les travailleurs, ce qui a bien fonctionné en termes de visibilité, d’interpellation des acteurs.

Ces matinées de test étaient plus de l’ordre de l’événementiel pour faire vivre ces moments de coworking et surtout pour que les usagers fassent part de leurs besoins, contraintes et envies.

Environ 60 participants étaient présents au cours de ces 5 matinées de coworking dans des endroits différents sur le territoire. (ndlr : les résultats détaillés sont disponibles en bas de page).

Puis en phase 2 vous avez travaillé à co-construire des scénarii de création d’espaces de travail partagé.

Nous avons fait intervenir une agence de design qui a consolidé la matière récupérée lors de ces matinées de coworking et mis en évidence à quel point les besoins sont diversifiés. Un usager peut avoir des besoins très différents à quelques minutes d’intervalle, ce qui rend complexe les solutions et les modèles à proposer.

Plusieurs scénarii ont donc été conçus et proposés sous la forme d’une exposition à l’occasion du Salon « Envie d’entreprendre ». Nous avons récolté une richesse et une diversité de réactions qui ont permis d’affiner les scénarii.

Par contre, la problématique des télétravailleurs n’a été que peu traitée faute de public et d’usagers. C’est une question qui nécessiterait une étude spécifique pour impliquer les acteurs que sont les entreprises sur et hors territoire puis pour les accompagner dans la mise en place du télétravail.

 

« Ancré sur mon territoire de vie »

 

Avez vous une évaluation chiffrée du potentiel de votre territoire pour remplir ces espaces de coworking futurs ?

Nous avons des chiffres mais nous nous sommes refusés à faire un cas d’école, ne sachant pas comment les freelances et autoentrepreneurs réagissent, il nous semblait difficile d’en tirer des tendances fiables.

Par contre ce que nous ont vraiment appris ces matinées de coworking, c’est que notre public recherche un réel service de proximité, « ancré sur mon territoire de vie ».

Les résidents de notre territoire ont fait le choix d’y habiter ou d’y créer une entreprise par attachement au territoire. Lorsqu’ils sortent de chez eux c’est pour rencontrer des gens de leur « bassin de vie », se connecter à leur territoire.

Cette demande de proximité limite donc de fait la « zone de chalandise ». Sur le Pays de Redon – Bretagne Sud, il n’est pas envisageable d’avoir un seul lieu. Nous avons constaté  que sur chaque lieu envisagé il y a un potentiel de 10-15 personnes. Et environ 6 personnes en permanence.

La notion de collectif va aussi être très importante, plus que le nombre d’indépendants sur une zone donnée. A Peillac par exemple, il y a une forte culture de l’entrepreneuriat et du communautaire, donc si un lieu s’ouvre ici il vivra d’une manière différente des autres.

 

« Créer une dynamique d’échanges. »

 

Comptez-vous, à terme, mettre ces sites en réseau, pour générer des échanges et de la valeur entre ces diverses communautés ?

Oui, notamment pour permettre aux usagers lors de leurs déplacements, ou aux travailleurs de passage, de pouvoir s’arrêter en fonction de leur besoin, via une application smartphone ou un site, sans s’occuper de qui porte le projet.

Et au-delà de ça, il va y avoir 2 niveaux : le niveau local de proximité qui justifie le fait d’ouvrir un lieu sur une zone spécifique, et la plus-value qui elle se fera au fur et à mesure des échanges d’expérience et de mises en réseau qui est déjà en partie faite par la plateforme « Envie d’Entreprendre ». Pour ces nouveaux espaces, il va falloir créer une dynamique d’échanges.

Quelles sont les prochaines étapes de votre projet ?

Le projet se termine fin mars 2014 et nous allons rendre nos préconisations à cette date. Nous présenterons les potentialités, la manière de rendre visibles les choses, notamment par une identité visuelle « mon autre bureau » et une démarche de labellisation des lieux pour donner une identité et une saveur.

Ce qu’il faut bien prendre en compte sur notre territoire, c’est que nous ne sommes pas sur des créations ex-nihilo d’espaces de travail ou de télécentres mais sur une création de fonctions supplémentaires dans des espaces qui existent déjà, ce qui change le modèle économique, notamment au niveau tarifaire, et pose la question de savoir comment cela peut s’intégrer dans le service public.

Nous allons donc remettre aux parties prenantes une boîte à outils qui leur permettra de se poser les bonnes questions pour s’approprier le projet.

D’ici-là, nous continuons de travailler sur la mise en situation des scénarii .Par exemple, sur Carentoir, c’est la notion de permanence mobile : et si tous les 15 jours près de chez moi, j’ai « un autre bureau » pour aller travailler ? est-ce que ça correspond à mon besoin ?

Nous cherchons, par ces mises en situation, à créer une dynamique et faire en sorte que les travailleurs qui viennent s’approprient le concept et que ce soit le collectif qui prenne la main, notamment par le biais des accueillants.

 

Interview réalisée par Denis Verron, Néomobis.

Les résultats complets